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Ce texte politique est franc et sincère, dépourvu d'aigreur ou de ressentiment. Tout un symbole...

Ce texte politique est franc et sincère, dépourvu d'aigreur ou de ressentiment. Tout un symbole...

Murmures à la jeunesse, de Christiane Taubira (Philippe Rey, février 2016), 94p., 7€

Si ce texte s’inscrit dans un agenda finement calculé, sa beauté et sa justesse n’en forment pas moins une respiration plus que salutaire en ces temps troublés.

C’est une bonne, très bonne façon de commencer le mois de février. Ce lundi, la désormais ancienne ministre de la Justice Christiane Taubira a surpris son monde en sortant “Murmures à la jeunesse”, un texte qui démonte le projet de loi sur la déchéance de nationalité, qui l’a poussée à démissionner. Passage en revue.

Seulement cinq jours après avoir remis sa démission à François Hollande et trois jours après avoir donné une conférence à l’université de New York – prévue de longue date et maintenue malgré les événements – Christiane Taubira sort, ce lundi, Murmures à la jeunesse. 94 pages dans lesquelles l’ex garde des Sceaux revient sur les attentats du 13 novembre, le traumatisme qui s’en est suivi, et l’erreur que constitue, à ses yeux, le projet de loi qui prévoit d’étendre la déchéance de nationalité aux binationaux qui auraient commis des actes de terrorisme, examiné à l’Assemblée nationale vendredi 5 février.

Contrairement à ce que l’on aurait pu redouter, Christiane Taubira ne se laisse pas aller au jeu de la vengeance bête et stérile. Manuel Valls, qui porte le projet, n’est jamais mentionné, et François Hollande, sobrement désigné comme “le Président”, est l’acteur bienveillant du “Prologue” qu’elle consacre à la soirée du 13 novembre et aux deux jours ayant suivi, avant de présenter cette idée d’extension de la déchéance de nationalité devant le Congrès réuni à Versailles le 16 novembre.

S’il est par essence politique, Murmures à la jeunesse n’est pas politicien. C’est un texte de réflexion rédigé de sa plume imagée et référencée. On retrouve bien entendu Aimé Césaire (“A mesure que mourait toute chose/je me suis, je me suis élargi – comme le monde/ et ma conscience plus large que la mer !/ dernier soleil/ j’éclate. je suis le feu, je suis la mer/ le monde se défait. mais je suis le monde”). Mais aussi Paul Eluard, Oum Kalthoum, Billie Holiday, Pablo Neruda, ou encore un extrait du discours délivré par Albert Camus au moment de sa réception du Prix Nobel en 1957 :

“Chaque génération sans doute se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse.”

“Faire communauté nationale ne va pas de soi”

Les 34 premières pages sont consacrées à Daech et au terrorisme islamiste, face auquel “il faut refuser, malgré les intimidations, de capituler intellectuellement”, ne pas détourner le regard, mais tenter de redonner du sens au monde en cherchant à “atteindre l’œil du cyclone pour en connaître l’intensité.” Une démarche qui nécessite de se pencher sur les motifs à l’œuvre derrière “l’obéissance aveugle” des jeunes djihadistes, dont, insiste-t-elle, “les profils, milieux et lieux sont divers” : “Une disparité de provenances qui se trouve accentuée par la transversalité confessionnelle. Qui n’est pas un œcuménisme. En effet, leurs familles sont musulmanes, mais aussi athées, catholiques, protestantes, juives…”

L’ancienne garde des Sceaux s’attelle ensuite à démontrer avec rigueur l’absurdité du projet de loi, auquel échapperaient, de fait, les terroristes à la seule nationalité française : “Puisque pour les déchoir sans en faire des apatrides il faut qu’ils soient binationaux, cette déchéance contiendrait une inégalité, les mêmes actes perpétrés par des Français n’ayant pas une nationalité de substitution ne produisant pas les mêmes effets.” Et de souligner ses terribles conséquences : “L’échange de terroristes d’un pays à l’autre”, et l’humiliation d’une Nation incapable “de se débrouiller avec ses nationaux.”

Mais c’est la portée symbolique de la mesure dont “l’efficacité n’est pas la finalité”, qui la préoccupe : quel est le destinataire du message envoyé ici par le gouvernement ? “Celles et ceux qui partagent, par totale incidence avec les criminels visés, d’être binationaux, rien d’autre” répond-elle. Dès lors, la mesure ferait naître “une conscience de cible chez les personnes concernées, bien que non visées”, ainsi qu’ “une insécurité alarmante pour leurs enfants. et pour tous ceux qui sont attachés à la construction républicaine du droit de la nationalité, un sentiment d’ébranlement de l’essentiel.” Et de marteler :

“Faute de fabriquer une appartenance plausible et accueillante, la République laisse du champ à l’endoctrinement par les marionnettistes sans scrupules qui, bafouant toute probité, parviennent à berner les esprits désemparés en assenant : “vous ne serez jamais plus algériens, marocains, tunisiens, maliens, sénégalais, et vous ne serez jamais français. Soyez musulmans, c’est votre seule identité stable et légitime.” Il faut démolire cette impasse. Trop stérile et potentiellement meurtrière.”

Que resterait-il d’une République qui ne reposerait plus sur le principe du vivre ensemble, de “la fraternité” comme inscrit dans sa devise, mais sur celui de l’exclusion, “de la négative“, comme l’écrit Taubira ? “l’appartenance à la République transcende toutes les appartenances particulières. Y compris lorsque c’est douloureux. Faire communauté nationale ne va pas de soi“, rappelle-t-elle au passage.

“Je ne suis sûre de rien, sauf de ne jamais trouver la paix si je m’avisais de bâillonner ma conscience”

Sa conclusion prend la forme d’un message d’espoir destiné à cette fameuse jeunesse, qu’elle invite à jouir de la beauté partout, tout le temps, dans la nature comme dans la culture. Et tacle les esprits obtus et obscurantistes, “effrayés par la diversité et l’imprévisible du monde” qui “haïssent tout ce qui est différent, ouvert, inhabituel” :

“Tout ce qui n’est ni figé ni fermé les trouble. Un temps c’est le Juif, un autre c’est l’Arabe, puis le Nègre, puis le musulman, après ou avant c’est la femme, ensuite l’homosexuel, puis le binational… ”

Je ne suis sûre de rien“, reconnaît Taubira, qui a fait de “l’intranquillité” le moteur de sa pensée politique, “sauf de ne jamais trouver la paix si je m’avisais de bâillonner ma conscience.” Si ce texte s’inscrit dans un agenda finement calculé, sa beauté et sa justesse n’en forment pas moins une respiration plus que salutaire en ces temps troublés.

Source : http://www.lesinrocks.com/2016/02/01/actualite/murmures-%C3%A0-la-jeunesse-ce-quon-a-pens%C3%A9-du-livre-de-christiane-taubira-11802542/

Tag(s) : #lectures
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